Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 3.djvu/372

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et les troupes qu’il y avait laissées. Cette opération faite, et ayant appris que les confédérés s’étaient portes sur Ingolstadt, il résolut de marcher à eux : il lui importait extrêmement de ne pas les laisser s’emparer de cette ville, où il n’y avait qu’une faible garnison, car c’était là que le comte de Buren devait faire sa jonction avec lui. Le 24 août il passa le Danube à Neustadt; le surlendemain il campa tout près d’Ingolstadt, en un lieu où il avait cette ville à dos, le Danube à sa gauche, un marécage à sa droite et devant lui une plaine toute découverte. Cette nuit-là, par des causes qui ne sont pas expliquées, il y eut entre ses troupes une confusion telle que, si les protestants étaient vernis l’attaquer, il aurait été vraisemblement perdu[1].

L’armée de la ligue, qui d’abord avait pris position à une assez grande distance de celle de l’empereur, s’en était rapprochée; elle n’était plus qu’à trois lieues; entre les deux camps il y avait une petite rivière. Pendant quatre jours, les deux armées se bornèrent à des reconnaissances et des escarmouches. Le 31 août, avant l’aube, les confédérés se mirent en mouvement, traversèrent la rivière et s’avancèrent jusqu’à un mille et demi italien[2] du camp impérial, sans qu’on s’y fût aperçu de leur marche. Le marquis de Marignan, le premier, en eut connaissance; il s’empressa de prévenir l’empereur, qui était encore au lit[3]. Charles se leva aussitôt, revêtit son armure, donna l’ordre que chaque régiment occupât le poste de bataille qui lui avait été désigne d’avance. Il crut que le dessein des confédérés était de l’attaquer dans son camp; quoique de beaucoup inférieur en forces, il était bien résolu de leur tenir tête. Arrivés à la distance que nous avons indiquée, ceux-ci firent halte, se déployèrent en bataille, et, ayant disposé leur artillerie sur un mamelon situé en face de l’armée impériale, ainsi qu’à sa droite et à sa gauche, en des endroits où se trouvaient des maisons pour leur servir d’abri, ils commencèrent contre elle une canonnade terrible. Charles n’avait, pour leur riposter, qu’une quarantaine de bouches à feu[4], et ses troupes étaient en rase campagne, protégées seulement par des tranchées très-imparfaites. La canonnade dura de huit heures du matin à quatre heures de l’après-midi; les plus vieux soldats ne se souvenaient pas d’en avoir vu une pareille; huit à neuf cents coups de grosse artillerie avaient été tirés par les protestants. Les boulets, dit un témoin oculaire[5], tombaient au milieu des bataillons et des escadrons de l’empereur dru comme la grêle. Dans ses Commentaires[6], Charles-Quint se plaît à faire l’éloge de ses soldats, dont aucun, dit-il, ne montra le moindre semblant de peur. Tel n’est pas tout à fait le langage de l’ambassadeur vénitien Mocenigo : ce diplomate assure qu’il n’y eut personne dans l’armée impériale qui n’avouât avoir eu plus de peur ce jour-là qu’en aucune autre circonstance de sa vie[7];

  1. « Quanto disordine che quella notte fusse nell’ esercito di Cesare, so che io particolarmente scrissi all’ hora a Vostra Serenità : ma non voglio restar di replicare che, per opinion di tutti, se nemici, quella sera ó la mattina adietro, venivano ad assaltarne, senza dubbio cravano tutti perduti, che non vi era rimedio alenno, perochè per tutta quella notte vi fù tanta confusione che non credo maggiore in uno esercito si potesse vedere... »
       Dans ses Commentaires, Charles-Quint cherche à pallier ce désordre : « Pendant toute cette nuit (qui ne se passa pas sans quelque bruit, parce que la multitude qui suivait pouvait difficilement pendant la nuit reconnaître ses quartiers), l’empereur fit creuser des tranchées autant que le temps le permit, etc. » (Page 136.)
       D’Avila (fol. 13) se borne à dire : « Il me parait, sauf meilleur jugement, que si les ennemis eussent marché ce jour-là et nous eussent attaqués en chemin, ils auraient pu nous mettre en grand hasard (Parésceme à mi, debaxo de mejor jugzio, que si ellos caminavan aquel dia y viniesen à combatirnos en el camino, que pudieran poner la cosa en gran ventura).
  2. C’est la distance donnée par Mocenigo : un miglio et mezzo italiano. D’après Stroppiana, dans sa lettre du 6 septembre, elle aurait été d’un demi-mille seulement : un mezzo miglio. Dans ses Commentaires, Charles-Quint dit que les ennemis s’avancèrent jusqu’à une portée de canon.
  3. Mocenifo.
  4. Quarante-neuf d’après Stroppiana; selon Mocenigo, trente-deux seulement et dont huit crevèrent pendant l’action.
  5. Stroppiana. — D’Avila dit la même chose en d’autres termes : « L’artillerie des protestants tirait avec tant de furie qu’il semblait véritablement qu’il plût des boulets » (que verdaderamente parescia que llovia pelotas).
  6. Page 137.
  7. ..... Per dir’ il vero, non vi é huomo che si habbi ritrovato in detto esercito, che non confessi haver havuto in quello giorno la maggior paura che in alcun altro tempo di vita sua..... »