Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 3.djvu/376

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Charles, qui avait en personne reconnu tous les environs, alla le 13 s’établir sur des collines, à deux milles seulement de l’électeur et du landgrave. Cette manœuvre, par laquelle il manifestait sa résolution de tenir la campagne, impressionna extraordinairement les confédérés, parmi lesquels la perte de la Saxe avait déjà jeté beaucoup de découragement[1]. Le landgrave fit écrire, par le chancelier de l’électeur de Brandebourg, au marquis Jean, frère de ce prince, qu’il était prêt, avec tous ses alliés, à faire acte de bon vassal envers l’empereur, moyennant certaines conditions qui lui seraient présentées, s’il voulait recevoir des députés qu’ils lui enverraient. Charles, à qui le marquis rendit compte de ce message, le chargea de répondre que, si les villes libres lui envoyaient des députés, il les recevrait, avec plaisir, mais qu’avec le landgrave et le duc de Saxe il ne ferait aucun accord qu’après qu’ils auraient posé les armes et seraient venus personnellement se remettre entre ses mains. Ces deux princes proposèrent alors d’entrer en conférence avec le marquis Jean et le comte de Buren; ils n’obtinrent d’autre réponse que celle qui leur avait été précédemment faite[2].

L’événement qui avait été prévu dès le 8 novembre se réalisa le 22. Ce jour-là, Jean-Frédéric ayant annoncé aux autres chefs de la ligue son intention de partir pour la Saxe avec ses troupes, toute l’armée protestante décampa. Charles se mit à la poursuite des confédérés; mais il ne leur causa aucun dommage sérieux; il avait été prévenu trop tard de leur retraite. Le temps d’ailleurs devenait de plus en plus mauvais; le froid était excessif; il tombait une neige épaisse; les soldats étaient épuisés de fatigues[3]. La plupart des généraux auraient voulu « que l’empereur se contentât des résultats obtenus, qu’il mît ses troupes en garnison et laissât reposer son armée. Charles l’eût fait volontiers, tant pour ménager les troupes que pour ne pas suivre presque seul son opinion; mais il comprit quel inconvénient en pouvait résulter et que l’on perdrait ainsi le fruit de tous les succès déjà obtenus..... Il se détermina donc, bien contre son gré, à suivre son opinion[4]. » Revenu dans son camp, il le quitta le 25 pour marcher sur Nordlingen, qui se rendit à la première sommation. Dinkesbühl, Rottenbourg, Bopfingen et plusieurs autres villes et châteaux des environs suivirent cet exemple. Charles séjourna à, Rottenbourg du 3 au 15 décembre[5]. L’armée des confédérés s’était dispersée; les gens du duc de Saxe, du duc de Wurtemberg, du landgrave, ceux des villes d’Augsbourg et d’Ulm, étaient retournés chez eux : l’empereur jugea à propos de renvoyer aux Pays-Bas le comte de Buren avec les troupes de ces provinces, en lui ordonnant de prendre son chemin par Francfort, pour tâcher de réduire cette ville

  1. Mocenigo.
  2. Mocenigo. — D’Avila.
  3. L’ambassadeur Mocenigo trace le plus triste tableau de l’armée de Charles-Quint en ce temps-là : « J’ai vu — dit-il — en divers endroits des soldats rester par les chemins et dans la boue, les uns pur maladie, d’autres par faiblesse, car ils n’avaient pas de pain à manger, et plusieurs ressemblaient plutôt à des momies qu’à des corps vivants, tant ils étaient desséchés et noirs du froid..... Je me rappelle encore avoir vu, dans des bois trois, quatre et cinq soldats moris sur place autour d’un feu éteint : ce qui certainement était un affreux spectacle » (Ho veduto io in diversi lochi restar per le strade, et dico molti nelli fanghi, chi per mulatie, chi per debolezza, non havendo pan da mangiare, et molti si vedeano di questi che piutosto pareano mummie che corpi vivi, tanto erano secchi et negri dal freddo..... Mi ricordo anchora haver veduto in alcuni boschi tre, quatro et cinque soldati per loco morli intorno alcuni fochi già spenti : che certo era un spaventoso spettaculo).
  4. Commentaires de Charles-Quint, pp. 171-172. « L’empereur — dit Mocenigo — voulait poursuivre la victoire sans attendre le printemps, où il voyait très-bien qu’il pourrait être empêché par plusieurs et que les ennemis se pourraient remettre ensemble » (Cesare non restava per ció di far marchiare l’esercito, volendo egli proseguir la vittoria et non aspettare il tempo novo, nel quale vedea molto bene che da molti poteva esser disturbato et che inimici si haveriano potutto rimetter insieme).
       François Ier, en apprenant les succès de l’empereur, en avait été irrité au point qu’il avait défendu qu’on lui en parlât et qu’il était resté trois jours dans sa chambre, sans dîner en pnhiic. Lorsqu’il sut que la rigueur de la saison n’empêchait pas l’empereur de poursuivre les opérations militaires, il en témoigna sa surprise, disant que c’était agir contre les lois de la guerre. (Lettres de l’ambassadeur Saint-Mauris à Charles-Quint des 1er et 14 janvier 1547.)
  5. Journal de Vandenesse.