Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 3.djvu/413

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l’opinion des juges les plus compétents, était le premier homme d’État de son époque[1]; sa prudence, sa dextérité dans le maniement des affaires, égalait laconnaissance qu’il avait des vues et de la politique des différentes cours de l’Europe. Jamais il n’était embarrassé, et dans les circonstances les plus critiques, il trouvait toujours quelque expédient pour en sortir[2]. La modération formait le fond de son caractère[3]; il était affable et courtois; les ministres étrangers se louaient beaucoup des rapports qu’ils avaient avec lui[4]. La confiance qu’il inspirait à Charles-Quint était sans bornes; l’empereur ne faisait rien sans le consulter, et son opinion était celle qu’il suivait presque toujours : il y avait d’ailleurs une si grande conformité dans leur manière de voir qu’il était rare qu’ils ne se trouvassent pas d’accord dans leurs appréciations et leurs conclusions[5]. Chaque matin l’empereur faisait demander à Granvelle son avis sur ce qu’il avait à faire ce jour-là et a dire aux ambassadeurs et aux autres personnages officiels auxquels il avait accordé audience[6]. On ne pouvait reprocher au premier ministre que son désir d’amasser et d’enrichir sa famille : il recevait volontiers les présents qu’on voulait lui faire; le bruit public était que les accords avec les princes et les villes d’Allemagne en 1546 et 1547 lui avaient valu un puits d’or[7]. Aussi, né pauvre, Granvelle laissa-t-il sa nombreuse postérité dans une brillante position de fortune[8]. Charles-Quint, le roi des Romains, le prince Philippe, à la nouvelle de sa mort, envoyèrent à Nicole Bonvalot, sa veuve, et à ceux de ses enfants qui étaient auprès d’elle, des personnages principaux de leurs maisons, pour les consoler[9]. Le 30 août fut célébré à la cathédrale un service auquel présida le duc d’Albe en sa qualité de grand maître de la maison de l’empereur; tous les princes, tous les membres de la diète, tous les officiers de la cour

  1. «... Ha nome di intender meglio le cose di Stato che huouio che hoggidi viva... » (Relation d’Alvise Mocenigo.)
  2. «... Viene questo signore principalmente laudato perchè in ogni occasione sia richissimo di partiti, et che in qualcunque cosa difficile ne proponga sempre tre o quatro. » (Relation de Mocenigo.)
  3. Nous aimons à en citer ici un exemple. Il écrivait, d’Ulm, le 6 février 1547, à la reine Marie : « Les choses de ce coustel sont en assez bons termes à cause de l’accord de Wirtemberg et réduction de ces villes, pourveu qu’on les traite doucement : en quoy j’ai faict tout ce que j’ay peu et dit tout ce qu’il m’a semblé convenir, et mesmes que les fault attirer à l’amitié de Sa Majesté et qu’elles prègnent confidence d’elle avec crainte révérenciale, et non point contraincte, et signamment pour ce qui concerne l’affaire de la religion, etc. » (Arch. impér, à Vienne.)
  4. «... Questo signore è prudentissimo, destro, piacevole et affabile molto... » (Relation de Mocenigo.)
  5. «... Tra l’imperatore et il signor di Granvela è una conformità di procedere tanto grande che rare volte, anzi rarissime, sono discrepanti tra loro d’opinione e conclusioni... » (Relazione di Marino Cavalli, dans les Relazioni degli ambasciatori veneti, sér. I, t. II, p. 210.)
  6. C’est ce que rapporte Mocenigo. Cavalli, qui lui succéda comme ambassadeur de Venise à la cour impériale, dit la même chose : seulement, d’après lui, c’était dans la soirée que Granvelle envoyait le papier où était consigné son avis sur ce que l’empereur avait à faire le lendemain. (Relazione, p. 210.)
       On conserve, aux Archives du royaume, un certain nombre de ces papiers.
  7. È fama che in questi accordi di Germania habbi guadagnato un pozzo d’oro. (Relat. de Mocenigo.)
  8. Il laissa dix enfants vivants, et non onze comme on le dit dans la Notice préliminaire. (Lettre de l’évêque d’Arras à la reine Marie du 30 août, citée plus haut.)
  9. Papiers d’Etat de Granvelle, t. III, p. 448.