Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 3.djvu/430

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sence de son maître, il fallait lui faire tenir un sauf-conduit. Cette démarche ne causa à Charles que de la surprise[1].

Maurice ne partit point pour Inspruck; il prétexta l’embarras où il était, faute d’argent pour licencier les gens de guerre qu’il avait sous sa charge[2]. Charles se paya encore de cette raison, malgré les observations de la reine Marie, à qui la conduite de l’électeur de Saxe était de plus en plus suspecte[3]. Il est vrai qu’il n’y avait aucune sorte d’artifices auxquels Maurice n’eût recours : le 30 decembre l’agent qu’il entretenait à la cour impériale déclara à Granvelle qu’il ne pouvait penser, comme on en semait le bruit dans la Germanie, que son maître voulût se déclarer contre l’empereur, et que, s’il manquait ainsi à son devoir, la plupart des nobles de son pays, et lui aussi, abandonneraient son service[4]. Maurice, dans le même temps, écrivait à l’empereur qu’il le suppliait ne vouloir croire le mauvais bruit « que ses ennemis faisaient courir de lui, et qu’il donnerait le contraire à connaître; » il lui annonçait son prochain départ pour Inspruck : telle était l’habileté avec laquelle il cachait ses desseins, que Lazare Swendy, envoyé à son camp pour le surveiller, était, tout le premier, persuadé de sa bonne foi[5]. Pourquoi dès lors Charles aurait-il manifesté du mécontentement contre l’électeur et contre les gens de guerre qu’il tenait réunis[6]? D’ailleurs, sans se faire illusion sur les dispositions peu favorables des Allemands à son égard et sur les dangers de la situation où il se trouvait[7]; sans se dissimuler l’ambition et l’humeur inquiète de Maurice, il persistait dans la fatale croyance que ce prince n’oserait se mettre à la tête d’une

  1. « Une chose ay-je senty, que Carlowitz, conseillier du duc Maurice, aye escript à l’évesque d’Arras qu’il seroit besoing envoyer à son maistre saulf-conduyt afin qu’il veuille venir. Sur quoy je fais pourveoir el répondre comm’il convient, ne sçachant qu’il aye contre moy commis chose pour quoy il ave besoing de saulf-conduyt.... » (Lettre de Charles du 18 novembre.)
       A considérer les actions de Charles-Quint à cette époque de sa vie, il semblerait que le déclin des forces physiques eût produit en lui l’affaiblissement des facultés morales. Non-seulement il se laissait abuser par Maurice de Saxe, mais encore lui, qui naguère était si actif, si résolu, qui s’occupait avec tant d’ardeur des affaires publiques, il hésitait lorsqu’il aurait fallu prendre un parti; il se montrait presque insouciant de ce qui aurait dû le plus exciter sa sollicitude. Nous avons là-dessus un témoignage décisif; Granvelle écrivait, le 17 novembre 1551, à la reine Marie, en lui demandant le secret : « Je treuve S. M. I. plus tardive qu’il ne conviendroit. El me semble que le fondement est de désespérer qu’il y aye moyen, quel quy soit, pour furnir aux fraiz; craincte, à ceste cause, de desréputation avec ce nouveau roy (Henri II); le resentement qu’il a du peu de discipline qu’il y a entre les gens de guerre, et que en tout il désespère de remyde, reboutant quant l’on luy mect en avant qu’il fault regarder comme l’on pourra remédier à tout au moings mal et pourveoir à ce que convient.... V. M. peult penser et assez entendre en quelle peine je m’en doibs trouver souvent : toutesfois faiz-je ce que je puis pour procurer partout remyde et correspondre où il convient et préadvertir des offices qui me semblent nécessaires; mais tout cela ne peult souffire, si le maistre même ne s’esvertue.. Quant l’on luy parle d’entretenir les Anglois, Véniciens, princes d’Allemagne et aultres et gaigner la voulenté des gens, il me semble qu’il en tient si peu de compte, tenant tous en si peu d’estime, que je ne m’ay peu tenir de luy dire il y a cinq jours, — à l’occasion de tant qui sollicitoient audience et que, estant, grâces à Dieu, bien disposé et allant à la chasse, il ne les vouloit ouyr, disant qu’il sçavoit ce qu’ilz vouloient dire et qu’ilz ne faisoient tous rien pour luy, — que je luy supplioye considérer que nous avions peu d’amys el beaucop de malveillans, et que nous debvrions procurer le contraire, et que telz donnoient peu d’ayde et prouffit que, s’ilz estoient désespérez, se joignants avec aultres qui sont ennemys, pourroient faire du mal assez, et que puisque l’on faisoit peu pour eulx, du moings convenoit-il les entretenir par bonnes paroles... » (Arch. impér. à Vienne.)
  2. Lettre de Granvelle à la reine Marie, du 13 décembre 1551. (Archives du royaume.)
  3. Lettres de Marie à Granvelle des 10 et 23 décembre. (Arch. impér. à Vienne.)
  4. Lettre de Granvelle à la reine Marie du 30 décembre 1551. (Archives du royaume.)
  5. Lettre de Granvelle à la reine Marie du 10 janvier 1552. (Archives du royaume.) — Lettre du même à la même du 17 janvier. (Arch. impér. à Vienne.) — Lettre du seigneur de Glajon (Philippe de Stavele) à la reine, écrite d’Inspruck, le 31 janvier 1552 (Archives du royaume : Lettres des seigneurs, t. IX, fol. 178.)
       Granvelle disait dans sa lettre du 17 : « Vostre Majesté verra avec quelle soubmission le duc Mauritz escript à S. M. I. et l’assheurance qu’il donne qu’il soit délibéré venir ici et de séparer les gens de guerre.... »
  6. «... Ledict duc ne donnant cause pour laquelle nous nous puissions attacher ù luy ni aux gens de guerre, je ne voys à quoi S. M. I. se pourroit attacher à l’encontre de luy ni d’eulx. » (Lettre de Granvelle à la reine Marie, du 22 janvier 1552, aux Arch. impér. à Vienne.)
  7. Il écrivait à la reine Marie le 28 janvier : « je me treuve de tous constelz en tel estat que si, par pure bélistrerie, les Allemans me voulissent assaillir, je ne sçauroye que faire, synon jecter le manche après la congnie... »(Archives du royaume.)