Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 3.djvu/485

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messes, deux pour son père et pour sa mère, la troisième pour l’impératrice, la quatrième pour lui; c’était à celle-ci qu’il assistait; le jeudi, en outre, aussi par son ordre, une messe du saint sacrement était célébrée en musique avec solennité. Indépendamment de ces cinq messes, il en faisait dire beaucoup d’autres, les unes pour que Dieu donnât au roi son fils la santé et la victoire sur ses ennemis, les autres pour remercier Dieu de les lui avoir données, d’autres encore pour des rois, des papes, des chevaliers de la Toison d’or décédés : aussi, quoique les moines du couvent fussent au nombre de près de quarante, suffisaient-ils à peine à cette tâche[1].

Mais ces exercices religieux, ces actes de piété, étaient loin d’absorber l’esprit et les pensées de Charles-Quint. Deux mois ne s’étaient pas écoulés encore depuis son installation à Yuste, lorsque le comte de Melito, Ruy Gomez de Silva, s’y présent de la part du roi son fils. Ce ministre favori de Philippe II venait le supplier de différer sa renonciation à l’Empire, de sortir du cloître, de s’établir dans le lieu qui conviendrait le mieux et à sa santé et à la direction des affaires publiques, de veiller à ce que les provisions d’argent nécessaires fussent envoyées tant en Italie qu’aux Pays-Bas, enfin, au cas que la négociation qui avait été reprise avec le duc de Vendôme fût couronnée de succès, de se mettre à la tête de l’armée qui entrerait en France[2]. C’était demander beaucoup, c’était demander trop à celui qui s’était retiré en Espagne pour y trouver le repos. Charles, néanmoins, se montre prêt à faire tout ce que les intérêts de son fils pourront réclamer de lui et que ses forces lui permettront d’accomplir[3]. Il provoque des poursuites à outrance contre les officiers de la casa de contractation de Séville coupables d’avoir délivré à des particuliers de l’argent sur lequel le roi comptait. Il écrit, en termes menaçants, à l’archevêque de Séville et grand inquisiteur Fernando de Valdes, qui se refusait à avancer cent cinquante mille ducats pour les nécessités publiques. Il prescrit que l’or attendu d’Amérique soit exclusivement appliqué aux besoins du trésor. Il intervient incessamment auprès de la princesse doña Juana et des ministres afin qu’ils accélèrent les envois d’hommes et d’argent aux Pays-Bas et en Italie. Il dirige la négociation pendante avec le duc de Vendôme, sans négliger celle qu’il avait entamée avec la cour de Portugal et qui aboutit, après bien des difficultés, à une entrevue entre la reine Éléonore et sa fille à Badajoz. Il retient à Yuste l’ambassadeur qui allait à Lisbonne de la part du roi, et lui donne de nouvelles instructions. Il agit de même à l’égard d’un autre ambassadeur que doña Juana y envoyait. Il charge le P. Francisco de Borja d’une négociation confidentielle relativement à la succession éventuelle de Portugal et au mariage du jeune roi don Sébastien. Il se fait rendre compte des dispositions qui ont été prises pour la garde des côtes d’Espagne et des îles à l’approche de la flotte turque. Au printemps de 1558, il apprend qu’un foyer d’hérésie a été découvert en Castille; dès ce moment, il n’épargne aucune démarche afin que les coupables soient arrêtés, jugés et châtiés avec la dernière rigueur : l’aversion qu’il avait eue, en tous les temps, pour le luthéranisme s’était augmentée encore dans le dernier période de sa vie. Il envoie Quijada à la princesse gouvernante, au conseil de l’inquisition, au conseil d’État, pour stimuler leur zèle. Il écrit lettre sur lettre à sa fille et au secrétaire Vazquez, de crainte que cet objet ne soit un instant perdu de vue. Il veut que la princesse charge très-étroitement, de sa part, le grand inquisiteur et les ministres qui lui sont adjoints de procéder à la punition des hérétiques sans ménagement et sans exception de personne. « Si je n’avais pas la certitude — lui écrit-il — que vous et vos conseillers vous couperez le mal dans sa racine, je ne sais si je ne sortirais pas du monastère pour y remédier moi-même[4]. »

  1. Retraite et mort, etc., t. II, pp. 21, 24-26, 33.
  2. Ibid., t. I, pp. 134, 136, 151, 161; t. II, pp. 159, 170.
  3. Retraite et mort, etc., t. II, p. 172.
  4. Tous ces faits sont tirés des documents contenus dans Retraite et mort, etc., t. I et II.