Page:Bishop - En canot de papier de Québec au golfe du Mexique, traduction Hephell, Plon, 1879.djvu/243

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chapitre onzième.

leur service religieux, les affranchis vinrent en grand nombre pour voir le canot de papier du Yankee. Ces gens simples me regardaient de la tête aux pieds avec une vive curiosité, et leurs grandes bouches ouvertes me montraient des dents de perles, dont un blanc pourrait être fier. « Vous êtes un bon homme, capitaine, nous le savons », disaient-ils, et quand je leur demandais pourquoi, leur réponse témoignait de la naïveté de leur foi : « Parce que vous n’auriez pas pu venir ainsi, dans un canot de papier, si le Seigneur ne vous avait pas aidé. Il n’aide que les bonnes gens. »

Le cracker vint à son tour avec ses enfants pour voir la merveille, pendant que de leur côté les bateliers étaient tellement frappés des avantages de ma pagaie (invention des habitants des régions arctiques), qu’ils en prirent le dessin avec de la craie en la mettant sur une planche, et se promettant d’en introduire l’usage sur la rivière.

Ces crackers prétendaient qu’il fallait plus que des shoutings, ou tout autre service religieux, pour améliorer la condition morale des noirs ; ils accusaient hautement les prédicateurs de couleur de troubler le sommeil de leurs poules et de leurs dindons. Quant à ce qui est de voler les porcs et de tuer les vaches : « Nous sommes perdus si le gouvernement des carpet-baggers[1] dure plus longtemps ! » s’écriaient-ils avec conviction. « Nous

  1. Nom donné aux républicains du Nord qui sont allés dans le Sud pour avoir des places et surtout pour y faire fortune ; ne comptant pas rester longtemps en place, ils n’emportaient qu’un sac de nuit (bag), espérant gagner beaucoup d’argent en peu de temps.