Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 1.djvu/246

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et présenta le spectacle assez commun dans les guerres civiles, de frères combattant dans des rangs opposés. C’était par toute la ville une sorte d’ivresse morale dont la parole humaine est impuissante à rendre la physionomie. A traveers les coups de fusil, le roulement des tambours, les cris, les gémissements, mille bruits étranges se répandaient et venaient ajouter au frémissement universel. Dans quelques quartiers on promena un chapeau à plumes qu’on disait être celui du duc de Raguse, dont on annonçait la mort. Il y avait quelque chose de surnaturel dans l’audace de certains combattants. Un ouvrier voyant une compagnie du 5e de ligne déboucher sur la place de la Bourse, court droit au capitaine et lui décharge sur la tête une barre de fer. Ce capitaine se nommait Caumann. Il chancelle et son visage se couvre de sang ; mais il peut encore relever avec son épée les bayonnettes de ses soldats qui allaient faire feu sur l’agresseur. A l’intrépidité les hommes du peuple joignaient l’abnégation la plus absolue, et ils se rangeaient de préférence sous les ordres de tout combattant qu’une mise plus élégante leur indiquait, comme appartenant à une condition favorisée. Au reste, les jeunes gens trouvaient à chaque pas pour guider leur inexpérience, d’anciens militaires échappés aux batailles de l’Empire, génération guerrière, que les Bourbons, en 1815, avaient irritée à jamais.

Mais la magnanimité de ce peuple n’était pas moins étonnante que son courage. Dans l’ardeur du combat, s’il arrivait que le riche offrît sa bourse au