Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 1.djvu/252

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Les députés furent précédés auprès du duc de Raguse par M. Arago. Ce jour-là même, dans la matinée, M. Arago avait reçu une lettre de Mme de Boignes. Cette dame le conjurait d’aller trouver Marmont, et d’essayer l’empire qu’il avait sur l’esprit du maréchal, afin de sauver Paris d’un irréparable désastre. M. Arago hésitait : dans les discordes civiles, la haine est si soupçonneuse ! Une noble inspiration le décida. Il fait venir son fils aîné et lui ordonne de le suivre, un père ne pouvant être soupçonné d’avoir voulu faillir en présence de son fils. Ils partent ; ils arrivent à l’état-major à travers les balles. Une salle s’ouvre devant eux. Au milieu, une table de billard sur laquelle M. Laurentie rédigeait un article pour la Quotidienne, et dans toute cette enceinte, la plus effroyable confusion. Les aides-de-camp se croisaient en désordre, pâles, couvers de sueur et de poussière. De la pièce occupée par le général en chef, des dépêches partaient à chaque instant ; mille rumeurs orageuses venaient du dehors, mêlées au bruit des coups de fusil ; et réunis là pêle-mêle, les officiers supérieurs suivaient avec anxiété les péripéties du combat, debout, l’oreille attentive et le visage altéré.

Quand M. Arago se présenta tout à coup avec sa taille colossale, sa puissante tête et son œil ardent, ce fut une agitation terrible. On l’entoure de toutes parts avec des accents de frayeur ou des menaces, comme si on eût vu apparaître en lui quelque soudaine et vivante image du peuple soulevé. Alors un officier polonais, M. Komierowski s’approchant de lui rapidement : « Monsieur, si quelqu’un porte la