Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 1.djvu/337

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se défendre d’un certain dépit que, cette nuit-là même, et contrairement à ses habitudes de réserve, il laissa percer de la sorte devant ses intimes : « M. Laffitte me compte vraiment pour trop peu de chose. »

Mais M. Laffitte s’appuyait alors sur les conseils d’un homme bien supérieur à M. de Talleyrand pour la portée des vues et la finesse de l’esprit. Béranger avait un coup-d’œil trop perçant, une sagacité trop inexorable, pour être accessible à l’enthousiasme. Quand il vit que le trône de Charles X chancelait, il se demanda tout de suite où était la puissance. Elle était dans la bourgeoisie, et il en aurait, au besoin, trouvé la preuve en lui-même. Poète, s’il s’était contenté de célébrer la grandeur du peuple associée aux souvenirs de la gloire impériale, son génie serait resté long-temps ignoré. Mais à côté des strophes où il chantait l’empereur, il avait publié des couplets contre la sottise des rois légitimes et l’insolence des nobles. Il s’était fait ainsi adopter par la banque et le haut commerce. De là sa fortune littéraire. Du salon sa renommée était descendue dans l’atelier, et sa popularité fut immense. Il ne pouvait donc se faire aucune illusion en 1830 sur la prépondérance de la bourgeoisie. Et comme elle n’avait qu’un chef possible, le successeur du régent ; que, d’ailleurs Napoléon II n’était pas la, Béranger devint l’âme du parti orléaniste. Il fit peu par lui-même, à la vérité ; mais beaucoup par les autres. Il ne se mit guère en évidence ; mais par ses conseils, religieusement écoutés, il agit fortement sur les meneurs de la bourgeoisie. Sans lui, par exemple, il est douteux