Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 2.djvu/277

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ques, les Saint-Simoniens ébranlaient, dans le Globe, toutes les vieilles bases de l’ordre social. Que l’industrie fût réglementée au gré d’un pouvoir issu en quelque sorte de lui-même et juge de sa propre légitimité ; que la production fût concentrée à l’excès et que ses bénéfices fussent répartis proportionnellement aux mérites ; que la transmission des biens fût anéantie comme celle des emplois ; que le mariage, légalisation de l’adultère, fît place à la souveraineté des penchants et à l’émancipation du plaisir ; que l’empire de la société fût substitué à celui de la famille ; voilà les doctrines qu’élaboraient alors des jeunes gens mystiques et sensuels, mais pleins de talent, de verve et d’ardeur. Leur morale, ils la résumaient dans ces mots : « À chacun suivant sa capacité, à chaque capacité suivant ses œuvres » ; et témoins indignés des vices d’un ordre social où les récompenses étaient presqu’en raison inverse des services, ils se félicitaient de l’apparente sagesse de leur formule en attendant qu’une école plus exaltée vint proclamer les lois d’une morale supérieure, et faire aboutir la diversité des aptitudes non pas à l’inégalité des droits, mais à l’inégalité des devoirs.

Ces brûlantes investigations se poursuivaient, du reste, au milieu de mille anxiétés stériles et de combats furieux quoique singulièrement frivoles. Les libéraux, vainqueurs, s’étaient divisés en deux camps, celui du mouvement et celui de la résistance, mots sonores qui ne répondaient guère qu’à des instincts, mots vagues au moyen desquels les combattants se faisaient illusion sur l’incertitude de leur but et le vide de leurs croyances.