Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 4.djvu/131

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Voilà le langage qu’en 1789 auraient pu tenir les prolétaires. Ne trouvaient-ils pas en effet la bourgeoisie en possession de tous les instruments de travail, en possession du sol, du numéraire, du crédit, des ressources que donne la culture de l’intelligence ? Quant à eux, n’ayant ni propriétés, ni capitaux, ni avances, ni éducation, ne pouvant économiser sur le labeur de la veille de quoi subir sans danger le chômage du lendemain, quel prix devaient-ils attacher au don de la liberté, définie métaphysiquement et considérée comme un droit ? Que leur importait le droit d’écrire et de discuter, à eux qui n’en avaient ni la faculté, ni le loisir ? Que leur importait le droit de vivre à l’abri des vexations du roi ou des courtisans, à eux qui échappaient à ces vexations par leur obscurité même et leur misère ? Que leur importait le droit d’être athée à eux qui, pour ne pas maudire la vie, avaient besoin de croire à Dieu ? Que leur importait le droit de s’élever en faisant fortune, à eux qui manquaient des instruments nécessaires pour s’enrichir ? La liberté politique, la liberté de conscience, la liberté d’industrie, conquêtes si profitables a la bourgeoisie, n’étaient donc pour eux que des conquêtes imaginaires, dérisoires, puisqu’ayant le droit d’en profiter, ils n’en avaient pas la faculté.

C’est ce qui ne tarda pas à être compris. Sous la Convention, des penseurs audacieux purent se lever et dire : pour qui donc la révolution a-t-elle été faite ? Est-ce pour cette foule gémissante des prolétaires qui a si puissamment aidé la bourgeoisie à renverser la Bastille, à vaincre les Suisses, à dompter