Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 5.djvu/131

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Quoi qu’il en soit, l’entreprise était hasardeuse, et le prince qui l’avait conçue n’avait pas encore tout ce que devaient lui donner plus tard les enseignements de la mauvaise fortune.

Savoir commander à son cœur, être insensible et patient, n’aimer que son but, dissimuler ; ne pas dépenser son audace dans les projets et la réserver tout entière pour l’action pousser au dévouement sans trop y croire, traiter avec la bassesse en la devinant, mépriser les hommes ; pour devenir fort, le paraître ; et se donner des créatures, moins par la reconnaissance, qui fatigue le zèle, que par l’espérance, qui le stimule… : là est, dans le sens égoïste et vulgaire du mot, le génie des ambitieux. Or, le prince Louis Bonaparte n’avait, soit en qualités, soit en vices, presque rien de ce qui le compose. Sa sensibilité, facile à émouvoir, le livrait désarmé aux faux empressements des subalternes. Il lui arrivait quelquefois de mal juger les hommes, par précipitation ou par bonté. La fougue de ses désirs le trompait et l’entraînait. Doué d’une droiture nuisible à ses desseins, il avait, par un rare assemblage, et l’élévation d’âme qui fait aimer la vérité, et la faiblesse dont profitent les flatteurs. Pour augmenter le nombre de ses partisans, il se prodiguait. Il ne possédait, en un mot, ni l’art de ménager ses ressources ni celui d’en exagérer habilement l’importance. Mais, en revanche, il était généreux, entreprenant, prompt aux exercices militaires, élégant et fier sous l’uniforme. Pas d’officier plus brave, de plus hardi cavalier. Quoique sa physionomie fût douce plutôt qu’énergique et dominatrice, quoiqu’il y eût une