Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 5.djvu/76

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par une balle vulgaire ; les autres, comme il arrive aussi dans les grandes inquiétudes, osaient à peine se livrer à l’espérance, et ils reprochaient à Carrel cette magnanime puérilité qui lui avait fait jouer sa vie contre un homme qu’ils jugeaient indigne d’un tel adversaire. Chez plusieurs, la fureur contre M. Émile de Girardin était au comble, et ils l’accusaient de n’avoir vu dans une rencontre dont on devait tant parler, qu’une affaire de bruit, qu’une manière de spéculation. Tous enfin rappelaient à l’envi la carrière fournie par Armand Carrel et ses qualités éclatantes.

Dans la nuit du 25 au 24 juillet, l’état du blessé prit le caractère le plus alarmant. Ses souffrances étaient devenues intolérables et, d’une voix déchirante, il suppliait les assistants de lui faire apporter un bain. Il demanda tout-à-coup à M. Grégoire, qui ne l’avait point quitte, si l’on venait de retirer la lampe. Oui, répondit M. Grégoire avec une émotion contenue. La lampe brûlait toujours auprès du blessé, mais Carrel entrait déjà dans la nuit éternelle. L’agonie commença alors. Au sein de ces ténèbres de la mort, qui déjà prenait possession de lui, et en présence d’amis silencieux, Armand Carrel eut un délire sublime. Ses bras, étendus hors du lit, cherchaient sans cesse la main de ceux qu’il savait là et qu’il aimait. Dans son monologue, mystérieux comme un rêve et coloré comme une prophétie, on eût dit qu’il se hâtait d’exhaler tout ce que renfermait son âme puissante. Il parla de la France, de l’Espagne, dont ses vœux et ses regrets mêlaient étroitement les destins. Il fit avec une