Page:Blanc de Saint-Bonnet - La douleur, Maison de la bonne presse, 1911.djvu/109

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et même la vie animale au prix de l’effort, le sauvage, s’il n’était aiguillonné par la faim, cesserait aussitôt d’exister. On croit que l’homme naît libre ! il naît pour le devenir. L’homme ne serait point libre, s’il recevait toute la liberté. C’est la faculté du mérite : si elle était toute donnée, où serait le mérite ? Aussi ne reçoit-il que le libre arbitre, le pouvoir d’arriver de soi-même à la liberté. Historiquement, quelles libertés l’homme a-t-il trouvées toutes faites dans la société ? N’est-ce pas à ses progrès sur lui-même qu’il doit tous ceux de la civilisation ? « L’homme est né libre, a dit Rousseau, et partout il est dans les fers. » Depuis six mille ans, au contraire, l’homme naît dans les fers, afin de pouvoir partout devenir libre ! Or, tout commence par la faim.

Que de précautions demandait l’être appelé à devenir libre ! D’une part, ôtez la faim, plus de travail : sommeil de la substance naissante. D’autre part, faites naître l’homme éclairé, il ne doit rien à ses efforts : ses débuts ne sont plus de lui. On ne sait pas avec quelle justesse l’Infini a pris ses mesures.