Page:Bloy - Exégèse des Lieux Communs, Mercure de France, 1902.djvu/178

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dait sa maîtresse depuis cinq quarts d’heure. Il faisait ce que les routiers du Lieu Commun appellent un chien de temps. Attendre une créature, même délicieuse, les pieds dans la crotte et le nez gelé, paraît être au-dessus de tous les courages. Il avait beau se remémorer les placets et les qualités dont la rédaction avait charmé les heures du jour, la procédure, il le sentait bien, ne remplissait pas son cœur et ce planton dans la sauce le déprimait excessivement.

Ses affaires d’amour allaient mal. Éléonore se fichait de lui avec une remarquable désinvolture. L’avant-veille elle l’avait fait poser deux heures et demie pour venir enfin lui serrer furtivement la main et prendre aussitôt la fuite avec des airs mystérieux. Une semaine auparavant, ayant eu l’occasion de la convaincre du plus impudent de tous les mensonges, elle lui avait cassé son propre parapluie sur la tête, en plein café du boulevard, après l’avoir accablé d’injures. On les avait jetés à la porte, inondés d’ignominie.

Bref, il aurait dû rompre vingt fois, mais il ne pouvait, quelle que fût sa rage, aller au delà de quelques obscures protestations d’indépendance. Il suffisait alors que la charmante enfant le traitât de « grand serin » pour qu’il se retrouvât instantanément et inextricablement ligoté. C’était, d’ailleurs, un beau caractère.

Ce soir-là, il attendit en vain près de quatre