Page:Bloy - Exégèse des Lieux Communs, Mercure de France, 1902.djvu/205

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voyant s’approcher d’elle un fantôme errant d’une couche à l’autre, dans la pénombre, rien ne répondra, sinon, peut-être, d’autres gémissements plus douloureux encore, montés du fond des puits de l’Angoisse. Les gardiennes sont trop saoules pour se réveiller ou trop occupées de leurs saletés pour consentir à se déranger. Si une clameur extraordinaire les y force, elles accourent, enragées, avec le blasphème, l’injure, la menace et souvent les coups. Dès la première nuit, Geneviève, au comble de la terreur pour avoir vu une folle qui se penchait sur elle en la regardant avec des yeux terribles, s’entendit promettre la diabolique cellule où s’éteignent infailliblement les résistances et parfois les vies. Elle s’en plaignit, le lendemain, au médecin en chef, à l’heure de la visite.

— Tout cela se passe dans votre tête, ma petite dame, répondit en souriant le vieux sot et le vieux lâche qui ne voulait pas contrecarrer l’Administration et qui s’éloigna en faisant des gestes de pitié. L’abandonnée comprit qu’il n’y avait pour elle aucune justice, aucun secours à espérer des hommes. Elle apprit, le même jour, que son mari avait été frappé de paralysie et leurs deux petits enfants livrés à un monstre. On ne sait pas ce que Dieu demande à certaines âmes.

Elle vécut, ainsi que bien d’autres, sans qu’on puisse dire comment ni pourquoi. Avec la vigueur surnaturelle des naufragés, elle se jeta et se cram-