Page:Bloy - Histoires désobligeantes.djvu/104

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le suppliait d’assister aux obsèques de sa victime.

Ce chef-d’œuvre typographique l’avait affolé, détraqué, perdu. Il arracha de très bonnes dents, aurifia maladroitement de négligeables chicots, s’acharna sur des gencives précieuses, ébranla des mâchoires que le temps avait respectées, infligeant à sa clientèle des supplices tout à fait nouveaux.

Sa couche d’odontechnicien solitaire fut visitée par de sombres cauchemars, dont grincèrent jusqu’aux dentiers en caoutchouc vulcanisé qu’il avait lui-même construits dans les orifices des citoyens éperdus qui l’honoraient de leur confiance.

Et la cause de ce trouble était exclusivement le banal message qu’avaient accueilli d’une âme si calme tous les patentés notables des alentours, ― Alcibiade étant un de ces adorateurs du Moloch des Imbéciles, à qui l’Imprimé ne pardonne pas.

Le croira-t-on ? Il avait assassiné, véritablement assassiné par amour.

La justice veut sans doute qu’un tel crime soit imputable aux lectures de dentiste qui faisaient l’aliment unique du cerveau de ce meurtrier.

À force de voir dans les romans-feuilletons les situations amoureuses dénouées de façon tragique, il s’était laissé gagner peu à peu à la tentation de supprimer, d’un seul coup, le marchand de parapluies qui faisait obstacle à son bonheur.