Page:Bloy - Histoires désobligeantes.djvu/214

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sans doute quelque part, avec beaucoup d’impatience.

En apercevant le promeneur, la malheureuse vermine avait essayé de fuir sur la neige. Mais il paraît qu’elle était complètement épuisée, car elle avait été forcée de s’arrêter presque aussitôt, sans lâcher sa proie, et l’homme, dont le bâton déjà se levait, tout à coup manqua d’énergie pour frapper un être si misérable.

Il s’était donc éloigné tranquillement, satisfait de sa clémence, mais gardant à jamais le souvenir des yeux de cette bête souffrante qui l’avait fixé avec l’expression du plus intelligent désespoir.

Ce regard où il avait cru discerner, en même temps qu’une rage de fauve aux abois, quelque chose qui ressemblait à de la douleur humaine, il ne l’avait pas oublié, il l’avait revu plus d’une fois, aux heures d’angoisse, et maintenant, ce même regard se précisait plus nettement que jamais avec cruauté.

— J’ai eu pitié de cette créature, pourtant, gémit-il, pourquoi n’obtiendrais-je pas de pitié pour moi-même ?

Lui aussi était attendu dans sa tanière. Depuis tant d’heures qu’il avait quitté sa femme infirme et ses trois petits enfants, ils avaient eu le temps de mourir de froid et de faim, sans parler de l’aimable propriétaire qui avait dû profiter de son absence pour les accabler d’injures.