Page:Bloy - Histoires désobligeantes.djvu/269

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Quelques semaines plus tard, Tertullien offrait un dîner somptueux pour le jour des Rois.

Vingt convives mâles, triés avec soin, se pressaient autour de sa table. Une magnificence non pareille était déployée. Chère exquise, abondante et inattendue. Cela ressemblait au festin d’adieu d’un opulent prince qui est sur le point d’abdiquer.

Plusieurs cependant éprouvèrent un moment de gêne à l’aspect du décor funèbre que l’imagination, désormais lugubre, du fromager avait emprunté sans doute à quelque souvenir de mélodrame.

Les murs, le plafond même étaient tendus de noir, la nappe était noire, on était éclairé par des candélabres noirs où brûlaient des bougies noires. Tout était noir.

L’employé du télégraphe, complètement démonté, voulait s’en aller. Un jovial éleveur de porcs le retint, déclarant qu’il fallait « se mettre à la hauteur » et qu’il trouvait ça « très rigolo ».

Les autres, un moment indécis, se déterminèrent à narguer la mort. Bientôt, les bouteilles ne s’arrêtant pas de circuler, le repas devint tout à fait hilare. Au Champagne, le triomphe du calembour était assuré et les cochonneries commentaient à poindre, lorsqu’un gâteau gigantesque fut apporté.

— Messieurs, dit Tertullien, qui se leva, nous allons vider nos verres, si vous voulez, à la mémoire de notre chère morte. Chacun de vous a pu connaître,