Page:Bloy - Histoires désobligeantes.djvu/333

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Lorsque je perdis ma mère, à six ans, je me rappelle que mon chagrin fut extrême, beaucoup plus grand, je le suppose, qu’il ne convient à un enfant de cet âge, car ce fut pour moi l’occasion de récolter une somme de gifles peu ordinaire.

Je ne pourrais jamais oublier le percement, le déchirement de mon petit cœur lorsqu’on m’apprit avec brutalité que je ne la verrais plus, que c’était tout à fait fini de la jolie maman et qu’on l’avait fourrée dans la terre, au milieu des morts.

Je ne pouvais guère comprendre ce que c’était que mourir, mais je fus pilonné sous l’épouvante, broyé d’horreur, et je n’ai jamais pu en revenir complètement.

On ne me montra pas le cadavre. Il y avait une raison, que je n’ai sue que beaucoup plus tard…

Mes cris furent tels, d’ailleurs, que mon père, homme très dur, qui me détestait, me fit expédier, le jour même, à la campagne, sur la lisière d’un bois de sapins très sombre, dans le voisinage d’un étang fétide et non loin de l’établissement d’un équarisseur, — lieu sinistre que je vois encore.

J’ai vécu là deux ans, entièrement privé de culture, sous les yeux indifférents d’une paysanne desséchée qui me nourrissait aussi chiennement que possible et me laissait vagabonder tout le jour.