Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/184

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Bretagne, jusqu’au fond des golfes Scandinaves ! Quelque chose enfin comme un soleil qui ne se serait jamais couché !

Dites-vous, Monsieur l’enlumineur, que les somptueuses applications d’or qui font la gloire des missels du très vieux temps ne sont pas moins que le reflet de l’inimaginable Byzance dans le crépuscule de ces monastères de l’Irlande ou de la Gothie, autour desquels les loups affamés accompagnaient de leurs hurlements le chant des moines implorant Dieu pour les pèlerins du Saint Tombeau. Ainsi parle Orderic Vital, qui fut un conteur d’une ingénuité sublime.

Depuis le jour où l’empereur Anastase avait affublé Clovis des insignes de la dignité consulaire, il est bien certain que tout ce qui pouvait avoir en Europe quelque vibration de poésie s’était tourné vers cette Ville étrange, la seule au monde que le déluge barbare n’eût pas engloutie.

Rome, cela va sans dire, demeurait toujours la Mère. C’était là que résidait le Geôlier de Béatitude qui tient les Clefs en sa main, qui lie et qui délie. Oui, sans doute, mais ce Siège de l’incontestable Primauté, à force d’outrages, avait perdu tout son décor, tandis que de l’autre, la rivale de l’Éternelle, n’avait eu qu’à étendre les mains, un peu au-dessus de ses imprenables murs, pour tirer à elle toute la magnificence du globe. Comment des peuples si jeunes auraient-ils pu se défendre contre cette prostituée qui ensorcelait les califes ou les rois persans, et dont le mirage seul a fait sortir la Reine de l’Adriatique du sein des eaux ?