Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/266

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entre celui d’un marchand de volailles et celui d’un croque-mort, et ils l’afficheront à la porte de leur mairie. Les curieux apprendront ainsi que vous êtes coiffée par moi d’une des plus anciennes couronnes comtales qu’il y ait en France. J’espère qu’on l’aura oublié au bout de huit jours. Laissons cela.

Voici mon histoire ou mon roman que je vais expédier sans phrases, car ces souvenirs me tuent.

Mon père était un homme brutal et d’un orgueil terrible. Je ne me souviens pas d’avoir reçu de lui une caresse ni une parole affectueuse, et sa mort a été pour moi une délivrance.

Quant à ma mère, dont je ne puis me rappeler les traits, on m’a dit qu’il l’avait assassinée à coups de pied dans le ventre.

J’avais une sœur illégitime, un peu plus âgée que moi, élevée, depuis sa naissance, au fond d’une province. Je ne l’ai connue que lorsque j’étais déjà tout à fait un homme. On ne m’en parlait jamais. Notre père, qui aurait pu la reconnaître, avait pris sur lui de me priver de cette affection.

J’ai donc vécu aussi seul qu’un orphelin, livré aux domestiques, d’abord, puis envoyé dans un lycée où on me laissa croupir des années. Naturellement enclin à la mélancolie, une pareille éducation n’était pas pour me dilater le cœur. Je doute qu’il y ait jamais eu un enfant plus sombre.

Parvenu à l’adolescence, je me mis à faire la noce, la plus imbécile et la plus lugubre des noces, je vous prie