Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/278

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le dénombrement, hurleront, comme en enfer, sous la dent de vos péchés. Vous m’entendez bien ? De vos péchés ! Car voici ce que vous ne savez certainement pas, aimable fantôme.

« Chaque être formé à la ressemblance du Dieu vivant a une clientèle inconnue dont il est, à la fois, le créancier, et le débiteur. Quand cet être souffre, il paie la joie d’un grand nombre, mais quand il jouit dans sa chair coupable, il faut indispensablement que les autres assument sa peine.

« Fussiez-vous idiote, ce que je refuse de croire, vous êtes, néanmoins, une créature si précieuse que c’est tout juste, peut-être, si le saignement de dix mille cœurs suffira pour vous assurer cette heure d’ivresse. Cœurs de pères, cœurs de mères, cœurs d’orphelins, cœurs d’opprimés et de pourchassés ; cœurs déchirés, percés, broyés ; cœurs qui tombent au désespoir comme des meules dans un gouffre ; tout cela c’est pour vous seule. Votre jubilation est à ce prix.

« Sans que vous le sachiez, une armée d’esclaves travaille pour vous dans les ténèbres, à la façon de ces damnés qui fouillent le sol, au fond des puits noirs de la Belgique ou de l’Angleterre.

« Tenez ! en voilà un précisément qui était sur le dos, — comme vous-même en cet instant, — non pas dans des draps de dentelles, mais dans la boue. Monsieur votre père a tant fait la noce que ce vermisseau est peut-être un de vos frères, qui sait ? Il piquait au-dessus de sa tête pour détacher une de ces gemmes sombres et profitables