Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/337

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affichait habituellement un suprême deuil. Elle avait, à l’église, un prie-Dieu marqué à son nom et, bien qu’elle réprouvât les excès pieux incompatibles avec les douceurs dont elle consolait ses ossements, on était sûr d’y apercevoir cette paroissienne à toutes les solennités.

Madame Grand, tel était son nom, boitait, ainsi que la plupart des femmes de Parc-la-Vallière, singularité locale que les géographes et les ethnologues ont oublié de consigner.

Elle boitait à jeun, depuis le jour où, se laissant tomber de sa fenêtre, au cours d’une altercation de vomitoire, elle s’était cassé la jambe. Mais elle boitait mieux, lorsqu’elle venait de chopiner en compagnie d’un de ses élus ou seule à seule avec la Poulot. On la voyait, alors, déambuler comme un ponton entre des récifs, ayant l’air de remorquer des tronçons d’elle-même, et mâchonnant dans ses fanons des anathèmes confus. On cherchait vainement à se figurer une duègne plus horrible, une impotente plus capable d’étrangler la compassion.

Madame Poulot et Madame Grand ! Certes, l’amitié de ces deux cochonnes n’avait pas été annoncée par les Sybilles. Elles s’étaient giflées déjà et il y avait lieu de présumer que leur commerce de fioles et des simagrées au miel n’était qu’un armistice. Provisoirement, le besoin de nuire à des souffrants, dont la supériorité sentie les exaspérait, fut entre elles du ciment romain. La jonction de ces deux puissances donna sur-le-champ à l’ignoble guerre une intensité diabolique.