Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/343

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strictes attributions. Soyez assuré, Monsieur, que je compatis à votre peine, mais je vous dis les choses telles qu’elles sont. Produisez-moi des témoins, c’est mon dernier mot.

Un témoin est un instrument qu’il faut avoir sous la main. Or ce n’est pas facile à trouver pour des solitaires et des dénués. Druide était absent de Paris et l’Isle-de-France absent de lui-même. Les deux ou trois autres sur lesquels on aurait pu compter étaient tellement dévorés, çà et là, qu’il valait mieux n’y pas songer.

Léopold se souvint alors d’un pauvre homme qu’il avait rencontré plusieurs fois à l’église et avec qui il avait eu l’occasion d’échanger quelques mots. Celui-là se nommait assez cocassement Hercule Joly, et c’était bien le personnage le moins héraclide qu’on pût voir.

Très bienveillant et très timide, mais plus chauve encore, long et flexible comme un cheveu, il s’exprimait avec des mitaines infinies, d’une voix aphone, ayant toujours l’air de se parler lui-même à l’oreille. Les yeux, d’un bleu extrêmement doux, ne manquaient pas de promptitude, mais on les devinait plus capables d’étonnement que de perspicacité. Il avait de tout petits pas rapides, de grands gestes braves, un sourire d’une niaiserie attendrissante, parfois les mouvements saccadés d’un égrotant que traverse une douleur vive, et ressemblait sous sa barbe en pointe à une vieille demoiselle derrière un balai de crin. Il était, cela va sans dire, célibataire, employé d’administration et tourangeau.