Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/145

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prendre », en sens inverse de ce que Dieu réserve à ceux qui l’aiment. C’est pourquoi Paris lui a fait les obsèques d’un roi. Jamais, peut-être, dans aucun pays d’Occident, un faste plus énorme n’avait été déployé sur les restes pitoyables d’aucun homme…

Marchenoir se souvenait des trois cent mille têtes de bétail humain, accompagnant à sa demeure souterraine le Xerxès putrescent de la majorité, pendant que roulaient les chars de parade et les innombrables discours funèbres, et il compara ce mensonge d’enfouisseurs à l’enterrement véridique de ce chartreux inconnu, dans l’humble cimetière comblé de neige où cinquante frères en larmes demandaient à Dieu de le ressusciter pour la vie éternelle.

Ce dernier spectacle lui parut plus grand que l’autre, et les canonnades prostituées de l’inhumation du dictateur lui firent l’effet d’un bruit étrangement stupide et mesquin, auprès de l’intelligente et grandiose clameur religieuse de ces âmes voyantes, qui se savent les héritières de la magnificence de Salomon, en face de la misère des sépulcres, et qui portent bien moins le deuil de la mort que le deuil de la vie terrestre !

Il est vrai que les funérailles de Gambetta furent, elles-mêmes, une bien piètre solennité en comparaison de l’apothéose de Victor Hugo, que Marchenoir était appelé à contempler, deux ans plus tard.

Cette fois, ce ne fut plus seulement Paris, ni même la France, ce fut le globe entier, semble-t-il, qui se rua sur la piste suprême du Cosmopolite décédé. Le monde moderne, las du Dieu vivant, s’agenouille de plus en plus devant les charognes et nous gravitons vers de telles idolâtries funèbres que,