Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/251

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certaine, que l’union physique de deux individus de sexe différent a pour effet probable l’apparition d’un troisième de même nature, à l’état rudimentaire. Cette quasi-certitude est l’un des fruits les plus savoureux d’une expérience de soixante siècles. Mais qui donc s’occupe du mystère autrement profond de la sexualité métaphysique des événements de ce monde, de leurs alliances rigoureusement assorties, de leurs lignées au type fidèle, de leur solidarité parfaite ? Toute la famille se précipite au vagissement du nouveau-né, et Dieu sait si elle est innombrable, puisque les événements ne meurent jamais et qu’ils continuent toujours de faire des enfants ! Le premier imbécile venu, à qui quelque chose arrive, est, pour un instant, le puits de vérité où tout un peuple formidable descend boire. Toutes les Normes se penchent vers lui, toutes les Règles, toutes les Lois, toutes les Volontés occultes s’accoudent en Polymnies, sur l’inconsciente margelle de bêtise qui ne se doute même pas de leur présence…

Il s’en fallait que Leverdier fût un imbécile et il savait trop qu’il était arrivé quelque chose ! Cependant, il s’étonna de tomber, immédiatement après avoir quitté Marchenoir, sur un personnage qu’il avait eu la douceur de ne pas rencontrer depuis des mois : Alcide Lerat, « historien et littérateur français », ainsi qu’il lui plaît de se désigner lui-même. Ce fut, pour l’attristé convive de tant de capiteuses ribotes de douleur, une commotion presque physique, — à la manière d’un pressentiment funèbre, — de revoir tout à coup, en un tel moment, ce fantoche sordide qui trottait, le nez au vent, comme un putois cherchant à dépister une charogne.