Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/337

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il vit, dans une clarté désolante, l’insuffisance inouïe de son effort, et la terrifiante inutilité de sa parole dans un monde si réfractaire à toute vérité. Il lui sembla qu’il était sur une planète défunte et sans atmosphère, semblable à la silencieuse lune, où les tonitruantes clameurs ne feraient pas le bruit d’un atome et ne pourraient être devinées que par l’inaudible remuement des lèvres…

Sa collaboration au Basile était décidément une chimère, un rêve insensé, qui ne tiendrait pas trois jours devant le préjugé commercial de ne rien changer à l’ordinaire des gargotes intellectuelles où le public moderne est accoutumé à s’empiffrer. D’ailleurs, sa solitude introublée au fond du salon, où tout le monde l’avait laissé fort tranquille, immédiatement après l’effusion postiche du premier instant, lui montrait assez les abîmes séparateurs qu’aucune considération n’aurait pu le déterminer à franchir, pour descendre confraternellement jusqu’à ces asticots de l’intelligence !

Il remarquait, depuis un instant, l’impatience hautement exprimée de quelques-uns et l’inquiétude manifeste de tous. On attendait un dernier convive pour se mettre à table et il fallait que celui-là fût considérable, à en juger par l’anxieuse perplexité de l’amphitryon.

La porte s’ouvrit enfin et Marchenoir vit apparaître celui devant qui tout journaliste s’efface, le folliculaire infini, le très haut Minos de l’enfer des Lettres, le sultan sublime de la critique théâtrale, l’indéfectible Manitou du Sens Commun, Mérovée Beauclerc !

— Rien ne me sera donc épargné ! gémit en lui-