Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/362

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ans, il revenait aux troubles de l’adolescence. Il lui fallait, déjà brisé tant de fois, résister encore à cet effrayant retour de jeunesse qui déracine les âmes les moins entamées et les plus robustes. Et il ne voyait pas d’issue pour fuir. Le travail, la prière même, ne le calmaient pas. Tout le trahissait. Les eucharistiques tendresses de sa foi ne servaient qu’à pencher un peu plus son cœur sur cet abîme du corps de la femme, où vont se perdre, en grondant, les torrents humains dévalés des plus hautes cimes. Le Christ saignant sur sa Croix, la Vierge aux Sept Glaives, les Anges et les Saints lui tendaient l’identique traquenard de liquéfier son âme à leurs fournaises…

La situation morale de Marchenoir était épouvantable. Aucun être humain ne saurait s’arranger de la privation perpétuelle de tout bonheur. Les plus misérables n’acceptent pas cet inacceptable dénûment. On peut toujours se donner un vice, une manie, ou se précipiter au suicide. Ces trois solutions révoltaient également l’amoureux mystique, sans qu’il fût plus capable que le dernier vagabond d’en dénicher une quatrième. Le bonheur ! il en avait été affamé toute sa vie, sans espoir de rassasiement. Personne ne l’avait jamais cherché avec une telle furie… et une si parfaite incrédulité. Et encore, il l’avait cherché trop haut, dans un éther trop subtil, même pour l’illusion.

Maintenant, par une dérision satanique, cet éternel désir d’être heureux, — cette inapaisable soif d’une fontaine qui n’existe pas pour les êtres supérieurs, — se précisait, à deux pas de lui, sous la forme d’un objet palpable, dont la possession l’eût