Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/420

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pouvais faire davantage, quand il se fût agi de me sauver de la mort. Pourquoi t’eussé-je désolé ?… D’ailleurs, j’espérais vaguement que Véronique reviendrait à elle et je ne pouvais me persuader qu’elle fût vraiment aliénée.

« Ton argent ne suffisant pas, je m’arrangeais pour en gagner d’autre, en faisant n’importe quoi. Je me suis fait homme de peine. J’ai servi des marchands de grains et des déménageurs. Je laissais ma blouse aux magasins où on m’employait, pour qu’on ne connût pas ma détresse, rue des Fourneaux… Quand il devint trop imprudent de laisser Véronique seule à la maison, des journées entières, j’obtins d’un entrepreneur d’écritures du travail chez moi. Je copiais des pièces de procédure et je faisais la cuisine, en surveillant la malade, sous la triple menace du feu, de l’étranglement et du couteau.

« Enfin, cette ressource vint à manquer. Alors, me prêtant au délire de cette agitée, j’imaginais un prétexte quelconque pour sortir, et je courais éperdument dans Paris, me jeter aux pieds des uns ou des autres, pour en obtenir un secours immédiat.

« Ce qu’il m’a fallu manger d’humiliations, engloutir de dégoûts, les Anges pâles de la Misère en furent témoins ! Je me suis livré, tête coupée, à mes ennemis. J’ai demandé l’aumône à des êtres abjects qui se sont réjouis de me piétiner au meilleur marché possible. J’ai tendu la main d’un mendiant à des drôles que j’avais conspués avec justice, et que la plus effroyable nécessité me contraignait à implorer, de préférence à d’autres, parce que je comprenais que le besoin d’un ignoble triomphe les porterait à