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sueur de sang

Le pauvre bossu-bancroche Amable Têtart, dit Mouche-à-Caca, n’y comprenait rien. Avant cette époque, il n’avait jamais entendu parler de guerre, ou s’il en avait entendu parler, ce mot n’évoquait en lui aucune image, ne s’accointait en sa cervelle à aucune notion précise.

Il restait là avec tout son crottin sur les bras, c’est-à-dire emmagasiné dans une espèce de hutte braconnière où il avait élu domicile au creux d’un fourré et se demandait sérieusement s’il « n’y avait pas de bon Dieu ». Mais il n’allait pas plus avant dans le blasphème et ne creusait pas ce doute philosophique.

Une seule chose était claire pour lui, c’est que jamais, de mémoire d’homme, il n’était passé tant de soldats, de voitures, de cavaliers, et qu’au lieu d’en vivre, ainsi qu’on eût pu le croire, il n’avait jamais tant crevé de faim. C’était même tout juste, ma foi ! si on ne le dévorait pas lui-même.

Comme il ne demeurait pas très loin d’une des routes principales, quelques maraudeurs s’étaient abattus chez lui, réclamant du « pain ». Il est vrai que la vue de sa marchandise et surtout l’aspect de sa personne les avaient puissamment découragés.

Un mois après ceux-là, il en était venu d’autres qui avaient des pointes sur leurs casques et qui parlaient un drôle de français. Alors, on entendait le canon nuit et jour, à peu près de tous les côtés.