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le ramasseur de crottin

nous l’attendons depuis ce matin, nous autres. Si tu as à lui parler, tu peux toujours filer du côté de Loury, en supposant que ton cheval veuille bien te porter jusque-là. Il y était encore avant-hier, mais aujourd’hui…

L’écuyer des abreuvoirs était déjà loin. Loury ! Bon Dieu ! Une vingtaine de kilomètres sur un cheval dont il sentait sous lui la fatigue et qui était peut-être aux trois quarts crevé !

Le malheureux ne vit pas l’inutilité absolue de cette course folle. Il ne calcula pas que même, dans le cas d’un succès complet de sa démarche, les vingt kilomètres qu’il lui fallait avaler auparavant donneraient aux derniers traînards ennemis le temps d’arriver en lieu sûr. S’il avait été capable de cet effort de pensée, il eût certainement adopté la résolution désespérée de retourner se faire tuer par ces vaincus si bêtement épargnés, en déchargeant au moins sur eux les six balles prussiennes de son revolver.

Mais le pauvre diable avait donné intellectuellement tout ce qu’il pouvait donner et, fidèle au programme qu’il avait conçu, il allait devant lui, furibond, dévorateur de l’espace…

Il pleurait maintenant sur le cou de son cheval, le suppliant, le conjurant, par les noms très doux d’autrefois, d’aller plus vite, encore plus vite et surtout de ne pas mourir.

Au septième kilomètre, avant même d’arriver aux premières maisons de Nancray, la bête fou-