Page:Bloy - Sueur de sang.djvu/125

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romantique dont les seuls noms lui paraissaient d’orduriers blasphèmes, il extermina la couleur, proscrivit la ligne, abreuva d’ignominie le contour, destitua les plans et les arrière-plans, mit aux abois la perspective, traqua les ombres et la lumière. Enfin il mourut complètement fou, ayant à peu près dissipé son modeste patrimoine en frais de cadres et d’envois de ses innombrables toiles à toutes les expositions de l’Europe.

La vraie folie paraît être ce qui agit le plus fortement sur l’imagination populaire dans le sens de l’inquiétude ou de la terreur. Un instinct très sûr avertit ces âmes d’enfants de la déception divine supposée par le naufrage d’une Intelligence, et l’énormité d’un pareil désastre est profondément sentie par des êtres simples que n’a pas oblitérés la science imbécile des démonstrateurs. Épreuve surnaturelle ou châtiment rigoureux de quelque attentat, cette incomparable misère les trouble et la contagion surtout leur paraît à craindre. Ainsi pouvaient s’expliquer l’effroi bizarre, l’éloignement superstitieux d’une population religieuse encore, aux confins de cette funeste forêt du Maine où Charles VI perdit la raison.

Vers la fin, il suffisait à l’inoffensif Poussin d’apparaître pour que tout le monde prît la fuite, et après qu’on l’eut enterré sans aucune pompe glorieuse dans l’aimable cimetière, les deux êtres aux trois quarts détruits dont sa démence avait si longtemps crevé le cœur, assumèrent d’autant