Page:Bloy - Sueur de sang.djvu/146

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assez fréquemment, et j’ai même entendu dire à un vieux paysan craignant Dieu, que c’était la cause des hivers plus longs et de l’infécondité significative du sol français depuis ces jours exécrables.

Cependant, il serait injuste d’en accuser les armées allemandes partout implacables pour les maraudeurs, mais qui protégèrent, sans le savoir, les fossoyeurs de vivants.

Quand vint mon tour, il paraît qu’il n’y avait plus de place. J’ignore, d’ailleurs, ce qui se passa exactement. Les ambulanciers me ramassèrent le lendemain. On m’évacua sur je ne sais quel hôpital, où ma jambe fut raccommodée, puis j’eus la chance d’être compris dans l’un des très rares échanges qui s’opérèrent, et je ne recouvrai l’équilibre de ma raison que six mois plus tard, au milieu des miens.

Mais je me souviens, avec une précision infinie, d’avoir vu cet homme, qui me prit sans doute, au dernier moment, pour un vrai cadavre, se pencher sur moi plein de soupçon, avant de partir. Je vous dis que j’ai ses traits, ses abominables traits, en caillots de sang noir, au fond de mon âme, et puisqu’il n’est plus possible d’accuser en France un maquereau milliardaire et triomphant, je prends les morts à témoin qu’il me trouvera à la fin des fins, devant un Juge qu’il ne connaît pas.