Page:Bloy - Sueur de sang.djvu/162

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rience ni ressources, qui n’aurait pu, dans son ignorance, qu’aggraver la peine de ces douloureux !…

Il y eut une circonstance remarquable. La hardiesse des enfants Thibaut avait indigné le village, c’est-à-dire, encore une fois, les quelques rentiers inébranlables, restés là pour sauver — à quelque prix que ce fût — leurs immeubles de la dévastation ou de l’incendie.

Ils trouvèrent, naturellement, scandaleux et détestable qu’une petite drôlesse recueillît chez elle les blessés français. Ils étaient en somme, ces blessés, aussi bien que possible dans la rue, et le vrai patriotisme consistait à les y laisser.

Il fallait peut-être les fourrer dans du coton et leur donner de l’argent, par-dessus le marché, à ces va-nu-pieds dont l’entêtement de bêtes féroces prolongeait la guerre ! Sans compter que la place occupée par des individus en train de crever manquerait forcément aux Prussiens qui allaient revenir fatigués, sans doute, et qui trouveraient la plaisanterie mauvaise.

Mais, sacrebleu ! n’était-ce pas là précisément ce qu’il y avait de plus sûr pour apaiser leur juste courroux, le spectacle des vaincus agonisants et méprisés de leurs propres concitoyens ? C’était donc la dernière ressource, l’unique peut-être, que cette souillon avait la scélératesse de ravir à d’honorables négociants retirés après fortune faite.