Page:Bloy - Sueur de sang.djvu/315

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rante ans. J’espère bien le tuer sous moi. Mais j’ai mes raisons que vous ne comprendriez pas, quand même j’userais en explications ce qui me reste de temps à vivre.

Il y a là aussi une jolie petite montagne de partitions, ajouta-t-il, frappant avec force un amas énorme de papiers d’où s’éleva un nuage de poussière.

C’est mon œuvre. Il y en a pour deux cent soixante-quinze instruments hétéroclites et dissemblables dont les deux tiers, au moins, sont encore à inventer.

Je pourrais vous signaler d’importants morceaux écrits pour un ensemble de trompettes complètement aphones que je nomme les clairons du Silence, à construire sur le modèle introuvable des buccins qui renversèrent autrefois les murailles de Jéricho… Oui, monsieur, de Jéricho !… C’est la partie qui m’a donné le plus de mal et j’y compte absolument pour être bienvenu parmi les anges, après ma mort.

Car je ne travaille pas pour ce monde et je vous jure que ma symphonie serait un peu plus difficile à exécuter que du Wagner. Tout sera donc détruit, livré aux flammes, avant que je disparaisse.

Ah ! c’est que j’ai une manière de comprendre la musique ! Sachez que pour être parfaite, il est indispensable qu’elle soit divine, je veux dire silencieuse, enfermée, cloîtrée au plus profond