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sueur de sang

fallait surtout l’âme hospitalière que les médiocres eux-mêmes ont encore à vingt-cinq ans et la porte ouverte à deux battants d’un très jeune cœur.

Voilà bientôt le quart d’un siècle que s’est évanouie cette immense fumée des batailles et des incendies, et que le sol de notre France généreuse a cessé de trembler sous les pas d’un million de soldats en marche. Une génération nouvelle est sortie de toutes les nuits amoureuses de cette année qui fut appelée terrible, et cette génération n’a pas entendu l’énorme tocsin des agonies et des désespoirs d’alors.

Les nouveaux hommes savent à peine, historiquement, que la patrie fut saignante et profondément affligée vers le temps qu’on les enfanta. Comment pourraient-ils deviner ou comprendre l’excessive humiliation de tout un grand peuple aussi bêtement vaincu, et l’exorbitance infinie de ce tourment qui faisait écrire à une femme d’un cœur très simple cette forte et catégorique déclaration que je lus un jour dans l’intérieur de la trajectoire des boulets allemands :

« Mon cher enfant, vous êtes cinq de mes fils devant l’ennemi. Eh bien, je me consolerais plus facilement de votre mort que de l’abaissement et de la honte de notre patrie… »

Beaucoup, certes, pensèrent ainsi, et il faut avoir eu soi-même l’occasion de savourer la Colère ou l’Angoisse fluides que tout le monde respirait en ces effroyables jours, pour ne pas sup-