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sueur de sang

tion en langue étrangère du sempiternel Désespoir.

Cette vieille dévastée lui paraissait une image de la passion humaine sans mesure, de la passion infinie qui ferait éclater le monde si beaucoup d’âmes en étaient capables.

Que dire à cette lamentatrice d’En Bas qui subsistait miraculeusement, depuis vingt années, de l’Eucharistie de son deuil et qui communiait trois cents fois par jour avec les cris de son enfant brûlée vive ?

Nul espoir, d’ailleurs, de l’arrêter. On le sentait en regardant sa face, détruite ainsi qu’un champ d’alluvion labouré par les cyclones, calcinée par ces pleurs d’enfer qu’on dit capables de corroder les métaux, où s’arrondissaient, pour l’effroi du contemplateur, deux yeux de Moloch, deux écoutilles défoncées d’un navire en flammes. Et quand, parfois, un nuage pâle, une taie blafarde y flottait, l’espace d’une seconde, on croyait avoir l’impossible sensation de quelque chose de plus implacable encore… Il aurait fallu la grande Étrangleuse pour l’empêcher d’aller jusqu’au bout de cette étrange confession qui lui donnait peut-être, à son dernier jour, la bonne chimère de se rebaigner dans sa Vengeance.