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à la table des vainqueurs

— J’étais une femme solide, je vous en réponds, continua-t-elle, et, dans le pays, on m’appelait la grenadière. Après trois jours d’agonie dans les cendres de ma maison, je me mis en marche pour accomplir ma volonté. Ce que j’avais résolu, je le voulais, comme Dieu a voulu le monde.

Je suivis l’armée allemande pendant une semaine, dans la direction du Mans, et je traversai ses lignes. Je pus passer, non sans recevoir beaucoup d’injures, car je ressemblais à une mendiante et je devais avoir l’air d’une folle. Mais j’étais descendue si bas que rien, désormais, ne pouvait m’atteindre, et d’ailleurs je me sentais protégée par le Démon.

Enfin, j’arrivai chez une parente de mon mari qui possédait une espèce de château aux environs de la Ferté-Bernard, dans le département de la Sarthe. J’étais sûre d’y trouver un bon accueil et je savais surtout qu’il passerait par là beaucoup de Prussiens, puisque les quatre corps d’armée commandés par le prince Frédérick-Charles se répandaient de ce côté de la France comme un torrent de cent vingt mille hommes.

À ce moment, je ne savais pas encore exactement ce que me conseillerait l’Esprit nouveau qui soufflait en moi ; mais, n’importe comment, il s’agissait de faire souffrir.