LA CONSOLATION PHILOSOPHIQUE, LIV. IV. 255 »immuable, il faut nécessairement qu’elles soient immuables elles-mêmes. De cette façon, le monde est par- · faite ment gouverné, puisque l’unité, qui est l’essence même de fmtelligence divine, produit les causes dont l’encliaînement est indestructible, et que cet enchaînement immuable retient à son tour les choses créées qui, sans cela, flotteraient au hasard. Que vous ne puissiez vous rendre raison de cet ordre admirable, et que le monde vous paraisse livre au trouble et à la confusion, il nlen suit pas moins que chaque chose va dans le sens de sa nature, qui la dirige vers le bien. Et, en effet, rien ne s’accomplit en vue du mal, pas même par le fait des méchants ; car, ainsi que je l’ai surabondamment · prouvé, clest le bien qu’ils poursuivent ; et s’ils s’en écartent, c’est par erreur de jugement. Jamais, en effet, l’ordre qui émane du souverain bien ne saurait détourner une créature de son principe.
Mais, diras-tu, peut-on imaginer une confusion plus inique que celle qui a pour résultat de répartir indistinctement les biens et les maux, les joies et les peines, entre les bons et les méchants il Quoi doncl les hommes ont-ils llesprit assez sain pour que le jugement qu’ils portent sur ceux qu’ils estiment bons ou méchants soit nécessairement conforme à la véritéil Leurs sentiments sur ce point sont souvent contradictoires, et tel qui paraît aux uns digne de récompense, dans l’opinion des autres inérite le dernier supplice. Mais je veux qu’il se rencontre un liomine assez judicieux pour discerner les bons diavec les méchants. Pourrait-il, pour nie servir d’une expression que, dl ordinaire, on applique seulement aux corps, reconnaître le tempérament intime des âmes il Ce serait aussi merveilleux que de deviner, sans l’avoir appris, pourquoi, dans liétat de santé, des aliments doux conviennent aux uns, des aliments amers aux autres, et pourquoi, dans llétat de maladie, ceux-ci se trouvent
