Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/104

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Ah ! monsieur, ces poulets sont d’un merveilleux goût ;
Ces pigeons sont dodus : mangez, sur ma parole,
J’aime à voir aux lapins cette chair blanche et molle.
Ma foi, tout est passable, il le faut confesser,
Et Mignot aujourd’hui s’est voulu surpasser.
Quand on parle de sauce, il faut qu’on y raffine ;
Pour moi, j’aime surtout que le poivre y domine ;
J’en suis fourni, Dieu sait ! et j’ai tout Pelletier
Roulé dans mon office en cornets de papier. »
A tous ces beaux discours j’étois comme une pierre,
Ou comme la statue est au Festin de Pierre[1];
Et, sans dire un seul mot, j’avalois au hasard
Quelque aile de poulet dont j’arrachois le lard.
Cependant mon hâbleur, avec une voix haute,
Porte à mes campagnards la santé de notre hôte.
Qui tous deux pleins de joie, en jetant un grand cri,
Avec un rouge-bord acceptent son défi.
Un si galant exploit réveillant tout le monde,
On a porté partout des verres à la ronde,
Où les doigts des laquais, dans la crasse tracés,
Témoignoient par écrit qu’on les avoit rincés :
Quand un des conviés, d’un ton mélancolique,
Lamentant tristement une chanson bachique,
Tous mes sots à la fois ravis de l’écouter,
Détonnant de concert, se mettent à chanter.
La musique sans doute étoit rare et charmante !
L’un traîne en longs fredons une voix glapissante ;
Et l’autre, l’appuyant de son aigre fausset,
Semble un violon faux qui jure sous l’archet.
SeSur ce point, un jambon d’assez maigre apparence,
Arrive sous le nom de jambon de Mayence.

  1. Molière venait de faire représenter sa pièce de Don Juan, ou le Festin de Pierre, dans laquelle on voit la statue du commandeur s’assoir silencieusement à la table de Don Juan