Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/105

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Un valet le portoit, marchant à pas comptés,
Comme un recteur suivi des quatre facultés.
Deux marmitons crasseux, revêtus de serviettes,
Lui servoient de massiers, et portoient deux assiettes,
L’une de champignons avec des ris de veau,
Et l’autre de pois verts qui se noyoient dans l’eau.
Un spectacle si beau surprenant l’assemblée,
Chez tous les conviés la joie est redoublée ;
Et la troupe à l’instant, cessant de fredonner,
D’un ton gravement fou s’est mise à raisonner,
Le vin au plus muet fournissant des paroles,
Chacun a débité ses maximes frivoles,
Réglé les intérêts de chaque potentat,
Corrigé la police, et réformé l’État :
Puis, de là s’embarquant dans la nouvelle guerre,
A vaincu la Hollande ou battu l’Angleterre[1].
A Enfin, laissant en paix tous ces peuples divers,
De propos en propos on a parlé de vers.
Là, tous mes sots, enflés d’une nouvelle audace,
Ont jugé des auteurs en maîtres du Parnasse :
Mais notre hôte surtout, pour la justesse et l’art,
Elevoit jusqu’au ciel Théophile et Ronsard,
Quand un des campagnards relevant sa moustache.
Et son feutre à grands poils ombragé d’un panache.
Impose à tous silence, et d’un ton de docteur :
« Morbleu ! dit-il, La Serre[2] est un charmant auteur !
Ses vers sont d’un beau style, et sa prose est coulante.

  1. Allusion à la guerre qui existait alors entre l’Angleterre et la Hollande, et dans laquelle Louis XIV avait pris parti pour les Hollandais.
  2. La Serre était né à Toulouse en 1600 ; il avait de l’esprit et surtout de l’entrain, et une bonhomie gasconne qui lui valut ses succès dans le monde. Il devint historiographe de Marie de Médicis et la suivit à Bruxelles lors de son exil.