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BOILEAU.

Exerce-toi, mon fils, dans ces hautes sciences ;
Prends, au lieu d’un Platon, le Guidon des finances[1] ;
Sache quelle province enrichit les traitans ;
Combien le sel au roi peut fournir tous les ans.
Endurcis-toi le cœur, sois arabe, corsaire,
Injuste, violent, sans foi, double, faussaire.
Ne va point sottement faire le généreux :
Engraisse-toi, mon fils, du suc des malheureux ;
Et, trompant de Colbert la prudence importune,
Va par tes cruautés mériter la fortune.
Aussitôt tu verras poëtes, orateurs,
Rhéteurs, grammairiens, astronomes, docteurs,
Dégrader les héros pour te mettre en leurs places,
De tes titres pompeux enfler leurs dédicaces,
Te prouver à toi-même, en grec, hébreu, latin,
Que tu sais de leur art et le fort et le fin.
Quiconque est riche est tout : sans sagesse il est sage
Il a, sans rien savoir, la science en partage :
Il a l’esprit, le cœur, le mérite, le rang,
La vertu, la valeur, la dignité, le sang.
Il est aimé des grands, il est chéri des belles :
Jamais surintendant ne trouva de cruelles[2].
L’or même à la laideur[3] donne un teint de beauté,
Mais tout devient affreux avec la pauvreté. »

  1. Livre qui traite de finances.
  2. Ce passage est une allusion transparente au surintendant Fouquet, qui reçut au temps de sa faveur les dédicaces de tous les poëtes qu’il pensionnait, et les coquetteries de toutes les dames pour qui sa cassette restait toujours ouverte.
  3. Allusion à Pellisson qui était fort laid. Boileau avait d’abord écrit :

    L’or même à Pellisson donne un teint de beauté ;


    Mais Pellisson se montra tellement peiné de cette allusion à la laideur de son visage, que Boileau consentit à le modifier. C’était d’ail-