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BOILEAU.

Je ris quand je vous vois si foible et si stérile,
Prendre sur vous le soin de réformer la ville,
Dans vos discours chagrins plus aigre et plus mordant
Qu’une femme en furie, ou Gautier[1] en plaidant.
QuMais répondez un peu. Quelle verve indiscrète
Sans l’aveu des neuf Sœurs vous a rendu poëte ?
Sentiez-vous, dites-moi, ces violens transports
Qui d’un esprit divin font mouvoir les ressorts ?
Qui vous a pu souffler une si folle audace ?
Phébus a-t-il pour vous aplani le Parnasse ?
Et ne savez-vous pas que, sur ce mont sacré,
Qui ne vole au sommet tombe au plus bas degré,
Et qu’à moins d’être au rang d’Horace ou de Voiture,
On rampe dans la fange avec l’abbé de Pure ?
OnQue si tous mes efforts ne peuvent réprimer
Cet ascendant malin qui vous force à rimer,
Sans perdre en vains discours tout le fruit de vos veilles,
Osez chanter du roi les augustes merveilles :
Là, mettant à profit vos caprices divers,
Vous verriez tous les ans fructifier vos vers :
Et par l’espoir du gain votre muse animée
Vendroit au poids de l’or une once de fumée.
Mais en vain, direz-vous, je pense vous tenter
Par l’éclat d’un fardeau trop pesant à porter.
Tout chantre ne peut pas, sur le ton d’un Orphée,
Entonner en grands vers la Discorde étouffée ;
Peindre Bellone en feu tonnant de toutes parts,
Et le Belge effrayé fuyant sur ses remparts[2].

  1. C’était un avocat célèbre et très-mordant, qui avait trouvé une source de profits et de bénéfices dans l’insolence de ses plaidoiries. On l’appelait au palais Gautier la Gueule, et les plaideurs qui désiraient diffamer leurs adversaires s’adressaient de préférence à lui.
  2. C’est en 1667, en même temps que Boileau composait sa satire, que Louis XIV faisait sa glorieuse campagne de Flandres, s’emparait de Lille et de plusieurs autres places fortes.