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SATIRE X.

Seul avec des valets, souvent voleurs et traîtres,
Et toujours, à coup sûr, ennemis de leurs maîtres.
Je ne me couche point qu’aussitôt dans mon lit
Un souvenir fâcheux n’apporte à mon esprit
Ces histoires de morts lamentables, tragiques,
Dont Paris tous les ans peut grossir ses chroniques[1].
Dépouillons-nous ici d’une vaine fierté :
Nous naissons, nous vivons pour la société.
À nous-mêmes livrés dans une solitude,
Notre bonheur bientôt fait notre inquiétude ;
Et, si durant un jour notre premier aïeul,
Plus riche d’une côte, avait vécu tout seul,
Je doute, en sa demeure alors si fortunée,
S’il n’eut point prié Dieu d’abréger la journée.
N’allons donc point ici réformer l’univers,
Ni, par de vains discours et de frivoles vers,
Étalant au public notre misanthropie,
Censurer le lien le plus doux de la vie.
Laissons là, croyez-moi, le monde tel qu’il est.
L’hymenée est un joug, et c’est ce qui m’en plaît :
L’homme en ses passions toujours errant sans guide
A besoin qu’on lui mette et le mors et la bride :
Son pouvoir malheureux ne sert qu’à le gêner ;
Et, pour le rendre libre, il le faut enchaîner.
C’est ainsi que souvent la main de Dieu l’assiste.
C’Ha ! bon ! voilà parler en docte janséniste,
Alcippe ; et, sur ce point si savamment touché,
Desmâres[2] dans Saint-Roch[3] n’auroit pas mieux prêché.
Mais c’est trop t’insulter ; quittons la raillerie ;
Parlons sans hyperbole et sans plaisanterie.
Tu viens de mettre ici l’hymen en son beau jour :

  1. Blandin et du (de) Rosset ont composé ces histoires.
  2. Célèbre prédicateur. (B.)
  3. Paroisse de Paris.