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BOILEAU

Entends donc ; et permets que je prêche à mon tour.
EnL’épouse que tu prends, sans tache en sa conduite,
Aux vertus, m’a-t-on dit, dans Port-Royal instruite,
Aux lois de son devoir règle tous ses désirs.
Mais qui peut t’assurer qu’invincible aux plaisirs,
Chez toi, dans une vie ouverte à la licence,
Elle conservera sa première innocence ?
Par toi-même bientôt conduite à l’Opéra,
De quel air penses-tu que ta sainte verra
D’un spectacle enchanteur la pompe harmonieuse ;
Ces danses, ces héros à voix luxurieuse ;
Entendra ces discours sur l’amour seul roulans,
Ces doucereux Renauds, ces insensés Rolands,
Saura d’eux qu’à l’amour, comme au seul dieu suprême.
On doit immoler tout, jusqu’à la vertu même ;
Qu’on ne sauroit trop tôt se laisser enflammer ;
Qu’on n’a reçu du ciel un cœur que pour aimer[1] ;
Et tous ces lieux communs de morale lubrique
Que Lulli[2] réchauffa des sons de sa musique ?
Mais de quels mouvemens, dans son cœur excités,
Sentira-t-elle alors tous ses sens agités !
Je ne te réponds pas qu’au retour, moins timide,
Digne écolière enfin d’Angélique et d’Armide[3],
Elle n’aille à l’instant, pleine de ces doux sons,
Avec quelque Médor pratiquer ces leçons.
AvSupposons toutefois qu’encor fidèle et pure,
Sa vertu de ce choc revienne sans blessure :
Bientôt dans ce grand monde où tu vas l’entraîner,
Au milieu des écueils qui vont l’environner,
Crois-tu que, toujours ferme aux bords du précipice,
Elle pourra marcher sans que le pied lui glisse ;

  1. Maximes fort ordinaires dans les opéras de Quinault.
  2. J. B. Lulli, né à Florence en 1633.
  3. Voyez les opéras de Quinault intitulés Roland et Armide.