Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/165

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
155
SATIRE X.

Que, toujours insensible aux discours enchanteurs
D’un idolâtre amas de jeunes séducteurs,
Sa sagesse jamais ne deviendra folie ?
D’abord tu la verras, ainsi que dans Clélie[1],
Recevant ses amans sous le doux nom d’amis,
S’en tenir avec eux aux petits soins permis ;
Puis bientôt en grande eau sur le fleuve de Tendre
Naviguer à souhait, tout dire et tout entendre.
Et ne présume pas que Vénus, ou Satan,
Souffre qu’elle en demeure aux termes du roman.
Dans le crime il suffit qu’une fois on débute ;
Une chute toujours attire une autre chute.
L’honneur est comme une île escarpée et sans bords
On n’y peut plus rentrer dès qu’on en est dehors.
Peut-être avant deux ans, ardente à te déplaire,
Éprise d’un cadet, ivre d’un mousquetaire,
Nous la verrons hanter les plus honteux brelans,
Donner chez la Cornu[2] rendez-vous aux galans ;
De Phèdre dédaignant la pudeur enfantine,
Suivre à front découvert Z… et Messaline ;
Compter pour grands exploits vingt hommes ruinés,
Blessés, battus pour elle, et quatre assassinés :
Trop heureux si, toujours femme désordonnée,
Sans mesure et sans règle au vice abandonnée,
Par cent traits d’impudence aisés à ramasser
Elle t’acquiert au moins un droit pour la chasser !
ElMais que deviendras-tu si, folle en son caprice,
N’aimant que le scandale et l’éclat dans le vice,
Bien moins pour son plaisir que pour t’inquiéter,
Au fond peu vicieuse, elle aime à coqueter ?
Entre nous, verras-tu d’un esprit bien tranquille

  1. Roman de Clélie, et autres romans du même auteur.
  2. Une infâme, dont le nom était alors connu de tout le monde.