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SATIRE X.

Devenir le butin d’un pique[1] ou d’un sonnez[2] ?
Le doux charme pour toi de voir, chaque journée,
De nobles champions ta femme environnée,
Sur une table longue et façonnée exprès,
D’un tournoi de bassette ordonner les apprêts !
Ou, si par un arrêt la grossière police
D’un jeu si nécessaire interdit l’exercice,
Ouvrir sur cette table un champ au lansquenet,
Ou promener trois dés chassés de son cornet !
Puis sur une autre table, avec un air plus sombre,
S’en aller méditer une vole au jeu d’hombre ;
S’écrier sur un as mal à propos jeté ;
Se plaindre d’un gâno[3] qu’on n’a point écouté !
Ou, querellant tout bas le ciel qu’elle regarde,
A la bête gémir d’un roi venu sans garde !
Chez elle, en ces emplois, l’aube du lendemain
Souvent la trouve encor les cartes à la main :
Alors, pour se coucher les quittant, non sans peine,
Elle plaint le malheur de la nature humaine,
Qui veut qu’en un sommeil ou tout s’ensevelit
Tant d’heures sans jouer se consument au lit.
Toutefois en partant la troupe la console,
Et d’un prochain retour chacun donne parole.
C’est ainsi qu’une femme en doux amusemens
Sait du temps qui s’envole employer les momens ;
C’est ainsi que souvent par une forcenée
Une triste famille à l’hôpital traînée
Voit ses biens en décret sur tous les murs écrits
De sa déroute illustre effrayer tout Paris.
DeMais que plutôt son jeu mille fois te ruine,
Que si, la famélique et honteuse lésine

  1. Terme du jeu de piquet.
  2. Terme du jeu de trictrac.
  3. Terme du jeu d’hombre.