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BOILEAU.

Sous leur fontange[1] altière asservir leurs maris !
PeEt puis, quelque douceur dont brille ton épouse,
Penses-tu, si jamais elle devient jalouse,
Que son âme livrée à ses tristes soupçons
De la raison encore écoute les leçons ?
Alors, Alcippe, alors, tu verras de ses œuvres :
Résous-toi, pauvre époux, à vivre de couleuvres ;
À la voir tous les jours, dans ses fougueux accès,
À ton geste, à ton rire, intenter un procès ;
Souvent, de ta maison gardant les avenues,
Les cheveux hérissés, t’attendra au coin des rues ;
Te trouver en des lieux de vingt portes fermés,
Et, partout où tu vas, dans ses yeux enflammés
T'offrir non pas d’Isis la tranquille Euménide[2],
Mais la vraie Alecto[3], peinte dans l'Enéide,
Un tison à la main, chez le roi Latinus,
Soufflant sa rage au sein d’Amate et de Turnus[4].
SoMais quoi ! je chausse ici le cothurne tragique !
Reprenons au plus tôt le brodequin comique,
Et d’objets moins affreux songeons à te parler.
Dis-moi donc, laissant là cette folle hurler,
T’accommodes-tu mieux de ces douces Ménades[5],
Qui, dans leurs vains chagrins, sans mal toujours malades,
Se font des mois entiers, sur un lit effronté,
Traiter d’une visible et parfaite santé ;
Et douze fois par jour, dans leur molle indolence,
Aux yeux de leurs maris tombent en défaillance ?
Quel sujet, dira l’un, peut donc si fréquemment

  1. C’est un nœud de rubans que les femmes mettent sur le devant de la tête pour attacher leur coiffure.
  2. Furie, dans l’opéra d’Isis, qui demeure presque toujours à ne rien faire.
  3. Une des Furies.
  4. Voyez le livre VII de l’Enéide.
  5. Bacchantes.