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BOILEAU.

Aujourd’hui j’en croirai Sénèque[1] avant Pétrone[2].
AuDans le monde il n’est rien de beau que l’équité :
Sans elle la valeur, la force, la bonté,
Et toutes les vertus dont s’éblouit la terre,
Ne sont que faux brillans, et que morceaux de verre.
Un injuste guerrier[3], terreur de l’univers,
Qui, sans sujet, courant chez cent peuples divers,
S’en va tout ravager jusqu’aux rives du Gange,
N’est qu’un plus grand voleur que du Tertre et Saint-Ange[4].
Du premier des Césars on vante les exploits ;
Mais dans quel tribunal, jugé suivant les lois,
Eût-il pu disculper son injuste manie ?
Qu’on livre son pareil en France à La Reynie[5],
Dans trois jours nous verrons le phénix des guerriers
Laisser sur l’échafaud sa tête et ses lauriers.
C’est d’un roi[6] que l’on tient cette maxime auguste,
Que jamais on est grand qu’autant que l’on est juste.
Rassemblez à la fois Mithridate et Sylla ;
Joignez-y Tamerlan, Genséric, Attila :
Tous ces fiers conquérans, rois, princes, capitaines,
Sont moins grands à mes yeux que ce bourgeois d’Athènes[7]
Qui sut, pour tous exploits, doux, modéré, frugal,
Toujours vers la justice aller d’un pas égal.
ToOui, la justice en nous est la vertu qui brille ;
Il faut de ses couleurs qu’ici-bas tout s’habille ;

  1. Sénèque, philosophe stoïcien, mort à Rome l’an 65, victime de Néron, dont il avait été le précepteur.
  2. Pétrone, écrivain immoral du premier siècle de l’ère vulgaire, intendant des plaisirs de Néron, mourut l’an 66, proscrit par cet empereur.
  3. Alexandre.
  4. Deux fameux voleurs de grands chemins. Ils ont péri sur la roue.
  5. Célèbre lieutenant de police de Paris.
  6. Agésilas, roi de Sparte.
  7. Socrate.